A quinze ans, au lycée, j'ai entendu mentionner la forme japonaise de l'haïku, "petit poème extrêmement bref visant à dire l'évanescence des choses" (wikipédia). Fascinée, je me suis demandé si, dans la même sorte de tercet court, on pourrait faire tenir une histoire. J'ai essayé. Puis, quelques années plus tard, on m'a offert "La tristesse du petit enfant huître et autres contes" de Tim Burton. Ce ne sont pas des haïkus, mais quelque chose de leur esprit est là : la forme très courte, la légèreté, l'absurdité, l'évanescence, la force étrange qui se dégage de ces mots comptés... J'ai continué à m'essayer à cette forme de fictions ultra-courtes. Des "croquis" d'écrivain, en somme, qui me servaient plus d'entraînements et bases de nouvelles un peu plus longues que d'histoires "montrables" en elles-mêmes. Et puis j'ai relu les contes de Tim Burton, et d'autres "micro-conteurs", comme Lisa Falzon, se sont lancés. Le temps est peut-être donc venu... J'ai alors ressorti de petits cahiers que j'avais commencé à noircir, laissé venir d'autres historiettes, et voilà, l'aventure de ces Carnets absurdes est lancée !
When i was fifteen, in high school, I heard about the haiku, "extremely short little poem to tell the evanescence of things" (Wikipedia). Fascinated, I asked myself if, in the same sort of short-triplet, someone could tell a whole story. I tried. Then a few years later, i was given "The sadness of Oyster Boy and Other Stories"by Tim Burton. This is not haiku, but something close : the very short form, lightness, absurdity, evanescence, the strange power that emerges... I continued to try my hand at this form of micro-fiction. I considered them more frequently at new bases for longer stories than at real printable fictions . And then I re-read the short stories of Tim Burton -- and other "micro-tellers, " as Lisa Falzon, published their stories on their blogs. It's maybe time i launch myself. That's the aim of these "absurd fictions". Very often i will write in french, sometimes in english as well. I apologize for my numerous mistakes, i understand several languages but i don't speak very fluently :o)

vendredi 29 avril 2011

Corrida

Quand est-ce que cela commença ? Peut-être dès le paseo, en fait, quand il vit passer l'attelage des mulets - ceux mêmes qui traîneraient la dépouille, plus tard. Juan croisa le regard des bêtes hybrides, leurs grands yeux bruns, résignés, tristes, et comprit que quelque chose n'irait pas. Les mulets tentaient de le prévenir. Lorsque le premier taureau entra en soufflant dans l'arène, Juan se signa. Il fit comme si de rien n'était, mais se signa. Car ce n'était pas un taureau, mais Saint Sébastien. C'est ce qu'il vit. Un Saint Sébastien qui, bientôt, ploya sous la blessure des piques. Il le confia le soir-même à son parrain, aficionado et évêque. Qui saurait quoi faire, sinon lui ? Repose-toi et reprends-toi, dit l'évêque. Et éblouis-nous de nouveau demain. Juan se reposa donc, et se reprit. Le lendemain, vêtu de l'habit de lumière, il était décidé à surprendre et à émouvoir le public. Oui, il y était sincèrement décidé, mais lorsqu'il vit Jean le Baptiste entrer et le regarder droit dans les yeux, sa résolution, en une seconde, faiblit. Vas-y, mon garçon, cria l'évêque. Le cri le sortit à point nommé de sa transe et Juan, une fois encore, se reprit. Il alla jusqu'au bout, et lorsque le taureau s'effondra, vaincu, au sol, et qu'il ne ressembla plus qu'à une grosse bête noire, Juan lui trancha les oreilles sous les exclamations ravies de la foule. Mais l'animal n'était pas mort, et son immense œil ambre le suivit. Un œil brouillé, embué, aussi triste que celui des mules. J'ai tué Abel, pensa Juan. Il recula et lâcha d'un geste à la fois le couteau et la seconde oreille. En glissant entre ses doigts, elle frémit. Mon père, le Ciel me pardonne, je suis un assassin, bégaya Juan. Allons, allons, sermonna l'évêque. Jean Baptiste, dis-tu ? Il fallait lui couper la tête ! Ne me regarde pas ainsi, je plaisante, bêta. Depuis quand le Baptiste aurait-il des cornes ? Et ne te prends pas pour Caïn, les vaches ne sont pas nos sœurs, que je sache ! Vous avez raison, je dois être fatigué, admit Juan. Il se coucha tôt, se vitamina, et, une troisième fois, se ressaisit. Devenait-il fou ? Il fallait lutter. Contre cette folie. La vaincre elle aussi - comme le reste. N'était-ce pas cela, la vie ? Vaincre ? Vaincre ses instincts, vaincre ses peurs, vaincre ses désirs, vaincre ses rêves ? Et même ses idéaux, parfois. Alors quand, le lendemain, sa véronique pourpre dans les paumes, Juan vit le Christ - dont le front luirait bientôt de sang - lui faire face, il comprit pourquoi l'estocade se portait dans l'endroit du torse appelé "la croix" et aussi pourquoi, depuis toujours, dans le regard des bêtes, c'est sa propre humanité qu'il voyait lutter et courir et se vider d'elle-même, sur la plaza. Et mourir sans fin au fil de chaque combat. La véronique glissa à terre. Il ne voulait plus. C'était fini. Imbécile de mes deux ! vitupéra l'évêque. Juan sourit et quitta la piste. Le taureau, mufle au sol, regarda le tissu rouge, et sa propre face. Bientôt une lance de deux mètres soixante se planterait dans ses flancs et son dos. Pour l'affaiblir. Le rendre "toréable". Dans la petite chapelle attenante, un jeune homme priait. Ou ne prierait plus jamais. Ou se pendrait, peut-être, pendant que se poursuivraient les corridas. A mort ! A mort ! hurlait l'évêque. Le taureau, immobile, patienta.